CHAMBRE DE
L’UNIFORME NOIR
DE TRAVAIL
Kesso - 3 au 9 août
crédit photo : Florian Beau
« J’attends, bien ancrée dans le réel, du moins pour l’instant, dans les tracés du texte, ces départs propices vers la fiction, creusés dans la trajectoire hallucinatoire des mots… »
Vous vous arrêtez subitement au milieu de l’espace, prise d’un vertige quasi-hallucinatoire. En fermant les yeux, vous voyez ces milliers de molécules chimiques des produits que vous utilisez pour aseptiser les objets et les surfaces du . Ces toxicités vous sortent de votre corps, vous propulsant vers des univers oniriques, vers des univers poétiques. Ce sont là vos seuls ancrages. L’espace a une profondeur et des dimensions subites; les plans se rejoignent en des zones rectilignes, prolongeant indéfiniment leur point de fuite dans votre esprit.
Vous vous rendez compte que l’espace dans lequel vous vous mouvez sans émotion particulière autre qu’un vêtement de résignation, votre uniforme, qui s’est subitement détaché de vous du fait de cette prise de conscience, est régi par des lois particulières et que des strates stratégiques vous environnent sournoisement. Qu’on a planifié vos déplacements dans le lieu. Que si vous glissez entre les plans et les strates par désertion cognitive temporaire, , on vous remarque, on contrôle votre corps, le ramenant vers le lieu et l’acte que vous désertiez.
Le sue par les pores de ses strates olfactives toute cette poésie toxique à laquelle vous êtes devenue accro. C’est la seule orchestration du lieu qui ne vous dépayse pas de votre perspective de ; vous êtes à la même fréquence que les odeurs, au diapason de leur toxicité, vous y prenez racine, vous vous agacez si on vous en déloge, sentant une forme d’amputation de vos rêves par le réel.
La nuit, vous errez sur de longues plages de désertion du par les . Vous appréciez ces vides rehaussés par le scintillement des lampes sur les tables et les réverbérations de la ville dans les vitres. Dès lors, certaines strates ont le loisir de se détacher doucement dans votre esprit. Vous avez créé de nouvelles strates pour pouvoir déserter le trop grand vide du réel, cette mort quotidienne de votre imagination déployée devant vos . Vous vous perdez dans un encombrement de sensations olfactives, tactiles, visuelles et sonores. Vous avez remodelé l’architecture du par des jeux de synesthésies.
Le chaos s’est unifié en un orgasme violent autour de vous, a vibré à votre diapason. Vous n’avez jamais réussi à vous soustraire à ce chaos pour regarder objectivement le lieu. Vous n’avez jamais réussi à faire d’équations cognitives entre la configuration du lieu et l’ordre des tâches à faire. Il vous arrive d’errer dans ce dédale de tâches qu’on vous cartographie, vous enchaînant à des zones particulières. Vous commencez par vous déplacer dans ces zones stratégiques à une certaine vitesse calculée, anticipée par eux, puis vous ralentissez, vous freinez, vous êtes distraite par toutes les sensations que produit le malgré lui. Vous ne cessez de glisser vers le rêve et vous recartographiez ainsi fugitivement l’espace par vos déplacements improvisés, reliés par le fil d’une sensation à l’autre, détruisant toute géographie externe.
Vous faites de grands écarts quotidiens du réel vers le rêve, risquant d’y disloquer vos membres et votre esprit en cours d’acte. Certaines strates se détachent comme des peaux mortes sous l’effet de votre cartographie insolite de l’espace.
Vous avez disloqué votre uniforme de travail à partir duquel vous avez créé cette Chambre pour y relocaliser vos rêves, cette Chambre recouvrant par l’opacité de son noir, toutes les censures opérées par votre esprit, esthétiquement tourné vers la paranoïa, les annulant subitement, sachant que vous saurez toujours recoudre ces déchirures du rêve et du réel.
Kesso, « Variations paranoïaques sur le thème du », 2015
crédit photo : New Eldorado